Sauter à cloche-pied

De mon enfance je me souviens

Quand j'appris à sauter à cloche-pied

Avec les deux pieds

D'abord l'un

Toujours le gauche

Ou était-ce l'autre

Ambidextre je ne sais pas

Et puis un jour ce fut l'autre

De mon enfance je me souviens

Le colis d'Espagne à Noël

Le premier morceau fondant

Des douceurs de ce pays-là

De mon enfance je me souviens

La couleur dorée la légèreté

Des dimanches paternels

Dans le mont bariolé

De mon enfance je me souviens

Les après-midis paresseuses

De lectures maternelles

Dans le lit immense

Au matelas chaud de laine

De mon enfance je me souviens

Le jardin d'Afrique

Et son bassin plein de refrains

Les grenouilles coassent

    AMML 22 XI 2020

FAMILLE

Je suis inquiète

Et j'étreins l'espoir

Pour ne pas dégringoler

La peur chevillée au corps

Je me cramponne à l'équilibre

Qui doit nous retenir

Je refoule d'un geste

Le doute qui s'insinue

Ai-je bien fait

Une lueur à l'horizon vacille

Mes mains en offrande

Abritent ce foyer d'espoir

     AMML 21 XI 2020

L'humus silencieux du monde

L'humus silencieux du monde

D'où jaillit la vie multiforme

Les petits vers tumultueux

Ensemencent la glaise

La sève des premiers bourgeons

S'élève

D'autres insectes grimpent

Fourmillent butinent grattent

Presque cachée cette agitation

Accroît le mouvement vivifiant

De la petitesse surgira la grandeur

                           AMML 15 XI 2020

Hymne aux poissons

Un arc-en-ciel de couleurs

Vibrant de mouvements

Les écailles vernies

Vous traversez la froidure de l'eau

En une masse légère

Tandis que le petit poisson solitaire

Se faufile entre les plantes

Anémones, algues...

Et la grosse baleine

Nous surprendra toujours

Sa gueule béante ne cherchant

Que le plancton

Poissons migrateurs

Quel élan vous pousse

Vers d'autres courants marins ?

                    AMML 18 X 2020

Fortuna, Fatum

 De la terre humide remonte

Le sourd fourmillement des vers

À l'oeuvre

Des milliers d'insectes

À leur labeur

Infatigables

Des va-et-vient incessants

La vie grouille

Mais il y a aussi son corps

Immobile dans la terre mère

Dans son linceul elle attend

Mère nourricière, Gaia

L'absorbe

De ce banquet subreptice

Ressurgit la sève

Reviviscence généreuse

Des bourgeons naitront

Les multiples couleurs

Reflet de sa joie de vivre

J'assiste contemplative

À la roue de la vie.

         AMML 26 VIII 2020

Illustration : La roue de la vie par Laure TURMEL

L'hiver

Trainées roses

Dans le crépuscule 

D'hiver

Et plus tard la

Brillance laiteuse

Reflet des lèvres de lune

Des perles de glace

Sur les plantes endormies

Le silence rompu par

Des grattements dans la terre

La tombée de quelques

Copeaux de neige

Suspendus aux arbres

        AMML 24 VIII 2020

Comprendre

Apprendre à pardonner

Et appréhender l'autre

Se glisser dans sa peau

Par l'esprit

Choisir le silence

Pour être à l'écoute

Choisir le silence 

Et laisser filer les vaines paroles

Choisir le silence

Pour éviter le heurt des contradictions

Choisir le silence

Et saisir les raisonnements

Choisir le silence

Pour le silence

Choisir le silence

Et choisir après les mots

Ceux du partage

         de la bataille

         de l'argumentation

         de l'amitié

et peut-être de l'amour

             AMML 14 VIII 2020

       

Du plus profond de mon être

Du plus profond de mon être
De sa nuit éternelle
Naît le râle rauque
Ce cri révélateur

D'une épouvante
           urgence
           carence

Comme en un gouffre profond

Ses chairs régurgitent 

L'abîme au sein de son être

C'est un sanglot muet

On en peut charger l'autre 

De notre fardeau

On chercherait en vain 

Ce qui calmerait ce vide antique

                      AMML 25 VII 2020

Acratopège ou déraison

 Je suis un être de confusion

Tout en moi se brouille

L'amour, la haine

Le manque, le trop-plein

L'amitié, l'indifférence

Je débroussaille sans cesse

Pour discerner le raisonnement

Et apaiser ce trou d'inquiétude

Les cinq sens aux aguets

L'esprit aux abois

J'ai trop vécu

Pour ne pas faire taire

Ce qui tient de ma folie

Mon moi sans cesse en balance

Entre la réalité et le labyrinthe

                           Des possibles

C'est un gouffre que je maitrise

Les autres éveillent cette inquiétude

Et me rendent gourde

Codification des gestes

Anodines conversations

Sait-on approcher l'autre autrement ?

                     AMML 27 VI 2020

Oud

 À Farid EL ATRACHE

Les images du luth
Pleurant d'allégresse
Sur ses cordes tendues

Le vibrato du sens
Modulation de mots
                    En notes
Dialogue du musicien
Messages sublimes aux voyants
Tous ceux, lambda,
Dont l'âme perçoit l'échange
                    AMML 27 VI 2020

Tableau : Ave EVA, El Y'oud

La mélancolie

 La mélancolie imprègne mon âme

De sombres zébrures

Elle étreint

Elle retord

Se mêlant à la nostalgie

Elle fait sourdre des larmes

Ce sont les pensées liquéfiées

Elles ont cogné ma pauvre tête

Elles s'agglutinent parfois

Insectes bourdonnant, la nuit

Ailleurs

Tels des coups de gonds lancinants

Elle éveille une inquiétude maladive

Je me redresse en sursaut 

Et fuis

Poursuivie par un essaim d'images fatidiques

                                             AMML 2 VI 2020

En ce temps

 Je suis muette
En ce temps de confinement

Un silence intérieur

Ajout à l'autre

Repli sur soi

Assurance de vie

La progéniture sous les ailes

L'esprit aux aguets

Le fil du temps déroulé

Un léger apaisement point

Les huis se déclosent imperceptiblement

La tension pointe

Comme un fil tendu

Qu'il ne faut guère briser

La vie se conjugue avec l'incertitude

Palpable au présent

Les lendemains chantent, déchantent

Alerte à la mort subreptice

                                                       Un tel

                                                       Un tel

                                                       Un tel

Mais où pourtant ?

Consistance, inconsistance de la vie.

Personne ne voit que la solitude est grande

Hérissée de frissons intérieurs

J'attendrai la sentence du destin commun

Printemps joyeux des bêtes

Mêlé au remugle de nos morts

Des amoncellements de jours

Tous semblables

S'écoulent sur nos corps tétanisés

Immobiles dans nos cages-foyers

Le fouet du confinement 

Ne nous rendra pas meilleurs

"Qui sommes-nous qu'il faille ce fer dans le sang ?" (*)

Mais les destructeurs du monde, cher poète,

Ceux qui arasent en avançant

Homo sapiens, être prédateur,

Lame de feu...

                                               AMML 5 V 2020

Ph. JACCOTTET, Feuillets d'hiver (folio plus classiques) p.24

Le fumeur

Je vois le fumeur

Ses poumons incandescents

Brûlés par l'encens

De sa cigarette

Son visage émacié

Et ses joues creusées

Le trahissent

Ses lèvres minces et striées

Aspirent goulument

La fumée délétère

Sa voix rauque et cassée

Un augure de ténèbres embrasées

                           AMML 15 IV 2020

Assise sur un rocher

 Assise sur un rocher de la jetée

Je pêche

Mon chien impatient

Près de moi, me caresse

La main de sa langue

Ni le mouvement des vagues

Ni le bruit de la mer

Ne l'apaise.

Fidèle compagnon

Il allonge ses pattes

Sous le parasol

Baisse la tête

Mais ses yeux me scrutent

Attendant le moment du départ

Je pêche.

La sérénité du lieu

Et ce compagnon

M'apaisent.

Les derniers rayons teintent 

La mer d'une couleur rosâtre

La lune prend sa place au zénith

La mer aussi ralentit son roulis

C'est l'heure entre chien et loup

Que les pêcheurs attendent

Sur les rochers, les derniers crabes 

S'affairent

Avant de retrouver leur grotte

Et une étoile de mer

Se glisse subrepticement

Sous mes pieds

Sur le rocher qui me protège

Des claquements de l'eau.

Quelques lumières de la ville

Nous rappellent que nous ne sommes pas seuls

Quelques mouettes aux cris moqueurs

Percent le crépuscule.

Puis c'est l'heure du silence

Le grand silence nocturne

Bercé par le mouvement des vagues

Le silence des pêcheurs

Le silence de la nuit

Et mon chien qui s'affale

Attendant que la nuit passe

Il a enfin compris, mon chien,

Qui s'enroule et s'emmitoufle

Dans son plaid

Le ressac berce ses oreilles de chien

Il est engourdi de sommeil

Et moi hypnotisée

La nuit avance

La lune est floue de brume.

                AMML 7 III 2020

Tu as aimé la vie

 

                           À ma mère    

Tu as aimé la vie

Malgré les soubresauts et les écueils

Tu as élu sa clarté

Plutôt que ses parts d'ombre

Tu as aimé la vie

Au point de tout quitter

Pour suivre le chemin choisi

Malgré les rugosités ou les détours rêches

Tu as aimé la vie

En as extrait le suc

En as revêtu ton âme

Habit de lumière éblouissant

AMML - Février-mars 2020

Une blessure qui fait tanguer

 Plus égarée ou plus libre
Une faille
Une fissure
Une crevasse
Qui se manifeste dans l'entre-deux
Le clair-obscur du contact de l'altérité

Tous ces mandarins qui jugent du haut de leur chaire de pacotille

Toutes ces sommités, baudruches enflées d'air

Je ressasse longtemps et la tête part en vrille

La nuit est trop sombre, elle dure indéfiniment

Cette fêlure telle une lèpre ronge mon âme

Le halo de lumière matinale m'arrache pour quelques heures au prurit de cette plaie

                                                                                                          AMML 8 II 2020

La Belle négresse

 Le balancement de sa silhouette
Au balancement de l'éventail 
Répond.
Une harmonie triste et belle

Noir ébène, elle rassemble ses forces

Pour l'heure de la tâche :

Ces fleurs qu'elle porte

Qui égayent si voluptueusement

Son visage

Ne sont guère pour elle

Noire d'Afrique, elle assouplit son corps

Pour se pencher sur le fer

Qui lissera ces vêtements soyeux

Qui se fondent sur sa peau

En une même douceur

Elle les tend à sa maitresse

Noire d'Amérique, elle violente son esprit

Pour mitonner ces plats odorants

Qui nourriront d'autres qu'elle

Ou ses enfants

AMML 8 I 2020

Édouard MANET, Olympe

Injustice

 Du tréfonds sourd le cri

Une âme en peine tait sa douleur

Le chemin choisi

Devient une fange aux trous béants

Elle se ressaisit pour avancer

Le détour devient long

Remettre ses pas l'un devant l'autre

Retracer le chemin incertain

Le temps presse

Le temps passe

Le corps battant se courbe

Le coeur reste vaillant

Et pourtant...

                AMML 23 XI 2019

Exil

 Il ne tient qu'à moi
De faire de toi
                       Les larmes amères
                       Les déchirures aux coeurs
                       La solitude des déracinés
                       Le départ douloureux
Oui, tout cela
Mais aussi
                       L'ami rencontré
                       La terre accueillante
                       Un coeur nouveau
                       L'esprit lumineux
                                  AMML 23 XI 2019

Comme un chez-moi

 Le besoin de solitude 
Fais ma différence
Et le besoin de silence

Une incompréhension s'installe
Avec mes congénères
Au mouvement incessant
Des geysers de mots

                                La solitude

                                                           Ce n'est pas 

           Être seul
         Dans une pièce

           Vide

                                                           C'est 

                                                                             Être entouré

                                                                        D'incompréhension

                                                                               Radicale

                                                           C'est 

                Cotoyer
                Ceux qui
                Ne comprennent 
             Pas
            Ta vie
              Qui ne s'y intéressent
           Pas
                                                                   

                                                           C'est 

            Coudoyer 
           Ceux qui
           Préfèrent 
          D'autres mondes
         Étrangers à toi

                                                           C'est

         

        Ce cri intérieur
       Qui hurle en silence
        Quand on ne peut échapper
       À certaines compagnies
                     AMML 11 XI 2019

Poème en staccato

Le ressac des vagues d'encre
Embrument mes yeux
L'esprit, ferme ou indifférent,

Je vois mourir des soldats ou

De pauvres hères

L'appât du gain oblige au

mensonge, à la trahison

               AMML 14 XI 2019

Métropolis

La ville incandescente
Dans le rougeoiement
De la nuit peinturlurée

Une foule bigarrée 
Au mouvement frénétique
Les profils en tension s’élancent
Vers quoi ?

Soupçon de collision imminente

Des immeubles tels des surgeons
Hiératiques
Appelant la foule
Vers des divertissements insoupçonnés
                                         
AMML 5 X 2019

Inspiré du tableau de George GROSZ